Port-royal, c'est moi

Que fait-on, sinon partir à la recherche de soi-même, quand on entre au (en) cinéma ? Par son œuvre, infini voyage en quête de lui-même, Vincent Dieutre nous offre à la fois cette possibilité et sa propre solution.

Le besoin de se replacer dans une perspective historique (intime, artistique ou politique) et d’arpenter une géographie (tangible, immémoriale ou imaginaire) informe toute l’œuvre de Vincent Dieutre, de Rome désolée à Leçons de ténèbres, de Mon Voyage d’hiver à Fragments sur la grâce. Car la position de l’artiste est, chez lui, celle de l’infirme, dévoré par le manque et l’absence de plénitude, souffrant d’un déplacement et d’une étrangeté perpétuels, que l’œuvre exprime, que l’œuvre comble. A la recherche d’une trace à suivre, d’une trace à laisser, son œuvre progresse ainsi en quête d’un point d’ancrage, de sa coordonnée propre dans la complexité des espaces-temps. Infiniment personnelle, elle excelle à déconstruire les images figées, évidentes et mollement partagées de la « culture muséale ». Car seule la réappropriation intime et subjective des siècles peut nous les restituer dans leur éternité.

Cette œuvre du souvenir donne ainsi toujours sa chance à l’instant et à la réalité du monde. Elle actualise un discours infiniment politique, sans jamais être frontal, littéral ou dogmatique. Port-Royal nous concerne et nous appartient : voilà la proposition folle des Fragments sur la grâce. Des questions incessantes, qui s’élevèrent particulièrement en ce temps, chez ces hommes et femmes du 17ème siècle, nous troublent encore aujourd’hui : la possibilité de la dissidence, de l’alternative, de la différence ; la liberté de l’homme et la prise sur son destin ; l’absence de plénitude qui nous creuse, pendant envieux de l’incompréhensible phénomène de la foi qui les comblait et les guidait en toute chose ; le choix du feu (de la radicalité) contre celui de la tiédeur ; et le besoin, finalement, pour Vincent Dieutre d’incarner cette souffrance corporelle et métaphysique des moniales de Port-Royal, vaincues par le pouvoir séculaire de leur temps et l’arrivée d’un monde sans Dieu (le Siècle des Lumières) où la toute puissance de la raison abolît une communauté qui savait dépasser le langage (et qui est peut-être simplement, pour le cinéaste, le territoire de l’art).

Confiné aux sorties minimes, Vincent Dieutre est sans nul doute un cinéaste rare et confidentiel. Et pourtant, la force de l’intelligence et de la culture n’occulte jamais le génie et la douceur sensibles chez Vincent Dieutre. Et il y a, avant tout, chez lui une foi en ce que le cinéma permet : relier les temps et les êtres, par la force de sa nature même ; tracer un chemin, être ce lien sensible, ce lieu impossible entre la réalité la plus directe et l’histoire la plus révolue, les projections intimes et les inconscients collectifs. Avec Fragments sur la grâce, il revient peut-être aujourd’hui avec une de ses œuvres les plus ardues et les plus sèches. Mais il nous offre, une fois encore, la possibilité d’être touché et de toucher au plus près quelques fragments délaissés de toute humanité.

Une rencontre avec Vincent Dieutre, à l’issue de la projection des « Fragments sur la grâce », aura lieu le Jeudi 7 décembre à 20h30 au Cinéma Lux.

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FRAGMENTS SUR LA GRACE
Un film de Vincent DIEUTRE, belge, français, 2006-1h41.

Sortie le 06 décembre 2006.

Un cinéaste tente de se plonger dans l'univers incandescent de Port-Royal et du Jansénisme, esquissant par fragments un autre siècle, étrangement familier, celui de Pascal, de Racine et des « Amis de la Vérité ». Paysages arpentés, lectures précieuses, entretiens et notes de travail s'entrecroisent, mais la quête historique tourne peu à peu au vertige. Et d'envolées baroques en convulsions hystériques, c'est tout le film qui bascule, butant irrémédiablement sur la question sans réponse de la grâce.

Ce film est soutenu par le Groupement National des Cinémas de Recherche, Le Monde des religions et Les Inrockuptibles.

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